Le boom de la médecine esthétique chez les jeunes
Laser, lumière pulsée, injections d'acide hyaluronique ou de Botox pour corriger de supposés défauts de la peau : parce qu'elle est moins invasive que la chirurgie et offre une réponse facile aux injonctions de beauté, la médecine esthétique connaît un engouement croissant chez les jeunes. Au risque de tomber dans une forme d'addiction.
Ouch… ça fait encore un peu mal, mais je suis très contente du résultat ! Julia, 24 ans, touche du doigt ses lèvres encore rouges et sensibles. Cette jeune femme, que nous avons rencontrée, vient de s’offrir quelques injections d’acide hyaluronique dans les lèvres. Contre un peu plus de 300 € et pour quelques mois, elles lui feront une bouche plus pulpeuse.
Il y a encore quelques années, Julia aurait fait figure d’exception : la médecine esthétique concernait surtout des femmes vieillissantes qui souhaitaient retendre une peau qui s’affaisse ou effacer des bajoues. Désormais, ce sont les plus jeunes qui s’arrachent ces rendez-vous. “En 2010, 8 % de notre patientèle avait moins de 35 ans, aujourd’hui ils sont environ 50 % ”, constate Tracy Cohen Sayag, directrice du groupe Clinique des Champs Élysées, leader de la médecine esthétique en France. “On voit arriver des demandes de patients de plus en plus jeunes, renchérit Catherine Bergeret-Galley, chirurgien plasticien et présidente de la Sofcep (Société française des chirurgiens esthétiques plasticiens).
HORS CHIRURGIE
Attention, il n’est pas question ici de chirurgie esthétique, qui implique une incision de la peau pour, par exemple, insérer des prothèses – mammaires, de fesses, des pommettes… – ou lisser la peau par un lifting. Ces opérations ne peuvent être pratiquées que par des spécialistes en chirurgie plastique. Non, ce dont les jeunes du monde entier raffolent aujourd’hui, c’est la médecine esthétique. Moins invasive et plus abordable, elle englobe les injections, les exfoliations, ainsi que toutes les interventions à base de laser ou de lumière intense pulsée, qui ont pour but d’épiler ou d’améliorer la texture et la pigmentation de la peau.
Ces actes peuvent être pratiqués par une palette plus large de médecins : généralistes, dermatologues, angiologues spécialisés, chirurgiens esthétiques, chirurgiens de la face et du cou, ou encore chirurgiens maxillo-faciaux. Le nombre d’interventions de ce type a explosé à travers le monde : de 10 millions d’actes en 2015, l’Isaps (International Society of Aesthetic Plastic Surgery) en recensait plus de 17 millions en 2021 – tandis que la chirurgie esthétique stagne, elle, autour de 10 millions.
L’intervention favorite des jeunes ? Si la première demande en France concerne l’amélioration de l’aspect de la peau au laser ou à la lumière pulsée, un second type d’acte se révèle de plus en plus populaire : les injections. Inspirées par les tendances américaines, elles ont vu leur nombre progresser de 23 % dans le monde entre 2020 et 2021 ! Un boom porté par un produit que les jeunes affectionnent particulièrement : l’acide hyaluronique. Présente naturellement dans les tissus humains, cette substance participe à leur hydratation et à leur cohésion. Le produit qu’on injecte est synthétisé par fermentation bactérienne et permet de remodeler les volumes.
Surtout, la mise au point d’une grande variété de formulations a récemment diversifié l’offre, avec des produits plus ou moins denses pour s’adapter à tous types de peau et d’application : gonfler des lèvres, remonter des fossettes, accentuer le menton, remplir des cernes creux, ou encore marquer les angles du bas du visage chez les hommes. Résultat, les ventes explosent : Galderma, une des principales marques présentes sur le marché français, annonçait en 2022 avoir augmenté ses ventes de 50 % en 2021 par rapport à 2020.
EFFET PROVISOIRE
Au côté de l’acide hyaluronique, on trouve un autre produit star : la toxine botulique ou Botox. Cette neurotoxine produite par une bactérie paralyse les muscles en bloquant la transmission nerveuse qui les contracte. Elle est tout particulièrement utilisée pour atténuer les rides ou ridules qui se forment chez certaines personnes dès 20-25 ans, voire pour prévenir leur apparition.
Cerise sur le gâteau pour les cliniques esthétiques : l’acide hyaluronique et le Botox se résorbent naturellement – en 4 à 12 mois. L’intervention n’est donc pas définitive, et les clients reviennent régulièrement chez leur médecin pour recommencer, essayer d’autres prestations, parfois passer à la chirurgie pure et dure.
Qu’est-ce qui pousse les jeunes à faire le premier pas ? Les études manquent, mais les chercheurs pointent tous la pression sociale. “Sur les réseaux sociaux comme Instagram, TikTok ou Snapchat, on a vu émerger des filtres qui améliorent le grain de peau , explique Tracy Cohen Sayag. Les utilisateurs ont envie de retrouver ça dans la réalité . ” Le mal-être peut être bien réel : “Certains enfants sont réellement en souffrance, les parents en prennent conscience et nous demandent ce qu’on peut y faire”, témoigne Catherine Bergeret-Galley.
“IDÉAL DU MOI”
Reste que le recours à la médecine esthétique n’est pas forcément la solution. “Avec les réseaux sociaux, on crée une société tyrannisée par l’idéal du moi, continue Michaël Stora, psychologue et psychanalyste. Depuis environ un an, on voit monter ce phénomène de dysmorphophobie, qui consiste à se focaliser sur une partie de son corps, perçue comme l’origine de ses problèmes. Quand on se rend compte qu’en plus les injections esthétiques ont un effet qui ne dure que quelque mois, on peut craindre le développement d’addictions.”
Or ces injections ne sont pas anodines. Ni pour le porte-monnaie – chaque intervention est facturée au minimum 300 € – ni pour la santé : le moindre écart lors de l’intervention risque de provoquer d’importants effets indésirables et même délétères. Si l’hygiène n’est pas parfaite, l’opération peut entraîner une inflammation ou, pire, une contamination virale en cas de matériel partagé. Et si le produit pénètre par erreur dans un vaisseau sanguin, les tissus qui ne sont plus irrigués peuvent se nécroser. En 2020, le Service mobile d’urgence et de réanimation du Centre hospitalier de Gonesse a ainsi rapporté le cas d’une patiente ayant perdu définitivement la vue de l’œil gauche, à la suite d’une injection d’acide hyaluronique dans l’artère centrale de la rétine.
Puis, en juillet 2022, c’était au tour de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament) d’alerter : l’agence avait reçu, en 6 mois, une quarantaine de déclarations d’effets indésirables à la suite d’injections d’acide hyaluronique réalisées par des personnes non-autorisées. “Sur Instagram, on voit des pages entières de publicités émanant de personnes qui ne sont pas médecins et qui font l’apologie de toutes formes de grosses lèvres possibles, confirme Catherine Bergeret-Galley. Cela tient de l’exercice illégal de la médecine, c’est interdit et potentiellement très dangereux.”
La prudence est donc de mise. Car l’exercice de la médecine esthétique est encadré en France : les médecins ne sont pas autorisés à faire de la publicité pour leur cabinet, ni offrir des remises à un influenceur qui commenterait leurs opérations sur les réseaux sociaux. Ils doivent systématiquement discuter avec les patients de leurs motivations et les informer des risques encourus, en leur faisant signer un consentement médical éclairé et leur présenter un devis. Si ces conditions ne sont pas remplies, alors mieux vaut fuir !
67 %
C’est l’augmentation du nombre d’injections de Botox chez les 19-35 ans dans le monde entre 2017 et 2021. L’Isaps a ainsi comptabilisé quelque 1 767 459 interventions de ce type en 2021.
19,9
C’est l’augmentation du nombre d’actes de médecine esthétique réalisés en 2021 par rapport à 2020. À elles seules, les injections ont augmenté de 22,8 %.
10 %
des Françaises ont déjà eu recours à la médecine esthétique. 16 % environ envisagent de recourir à la dermatologie esthétique dans les douze prochains mois.
Les hommes à l’assaut des greffes de cheveux
S’ils ne représentaient que 13 % de la patientèle mondiale en 2021, les hommes sont de plus en plus nombreux à user de la médecine esthétique. La greffe capillaire, qui consiste à implanter dans les zones dégarnies du cuir chevelu des bulbes prélevés à l’arrière de la tête, est en plein boom : + 240 % entre 2010 et 2021, selon l’International Society of Hair Restoration Surgery. Les raisons de ce succès ? Une technologie qui a mûri, la pression des réseaux sociaux et la banalisation de ces actes par des influenceurs qui en font la promotion, comme le footballeur Cristiano Ronaldo.